Vous avez dit “anthropocène” ?
« La face entière de la Terre porte aujourd’hui l’empreinte de la puissance de l’homme ».
Buffon, Les Époques de la nature, 1778
Anthropocène ? Malheureusement pas pour le meilleur…
Nous vivons actuellement au phanézorozoïque (éon), ère tertiaire du cénozoïque, période du quaternaire, et après l’holocène, qui a vu la naissance de l’agriculture et de la sédentarisation, celles des grandes civilisations et des démocraties, l’actualité ne cesse de nous répéter que nous sommes entrés dans l’ère de l’anthropocène.
Alors que les humains ont joliment identifié toutes les périodes géologiques, établi plusieurs échelles de temps qui, combinées entre elles, rendent compte de l’histoire de la terre, depuis sa naissance il y a plus de 4 milliards d’années, jusqu’à aujourd’hui, voilà enfin qu’une époque porte son nom.
C’était le moment, non ?
Malheureusement…
Les avatars du terme
Le terme «anthropocène», non encore homologué mais abondamment discuté par la communauté scientifique, notamment au sein de la commission internationale de stratigraphie de l’Union internationale des sciences géologiques (UISG) qui détermine les subdivisions de l’échelle des temps géologiques, est destiné à rendre compte d’une nouvelle période, celle où l’activité humaine est devenue la contrainte géologique qui domine toutes les forces géologiques et naturelles qui ont prévalu jusqu’ici.
Depuis le XVIIIè siècle, où l’empreinte de l’homme, toujours plus marquée sur notre planète, n’a pas échappé à nombre de scientifiques, le terme a connu de nombreux avatars avant de se fixer dans ce qu’il semble être définitivement devenu. En 1864, un certain Marsh publie un article relatif à la « géographie physique modifiée par l’action humaine », tandis que le professeur Stoppani de Milan conçoit, moins de 10 ans plus tard, un cours de géologie portant sur une ère géologique nouvelle qu’il nomme l’ «Anthropozoïque ». En 1922, c’est au tour de Pierre Teilhard de Chardin, chrétien et professeur de géologie, de développer, avec le mathématicien et philosophe Édouard Le Roy, le concept de «noosphère», ou autrement dit de « sphère de l’esprit humain » qui rend compte de l’influence de l’homme et de son pouvoir intellectuel et technologique sur la biosphère. Le terme « anthropocène » apparaît sous la plume d’un géologue russe, Pavlov, cette même année et les travaux de toutes sortes sur l’influence des activités humaines sur la vie terrestre se multiplient alors rapidement.
Comment dater l’anthropocène ?
Une première préoccupation est de savoir aujourd’hui si la période dominée par l’humain et par sa technologie se limite à un âge géologique (comme le calabrien) ou si, plus sérieusement, on peut la considérer comme une époque géologique (comme le pléistocène). Les débats favorisent aujourd’hui plutôt cette deuxième classification puisque l’impact de l’activité humaine sera sans nul doute enregistré dans les sédiments de la planète pour des millions d’années. Une seconde préoccupation est de savoir quand faire débuter cette fameuse époque.
Se trouve convoqué alors le catalogue impressionnant de ce qui pourra désormais être vu comme les exactions de l’humain sur terre, « l’éternel bulletin du globe entier » pour paraphraser Baudelaire :
• Entre -50.000 et -10.000 ? où l’on a enregistré une extinction massive de la mégafaune ?
• A -14.000 ans ? date de la colonisation de l’Amérique par les premiers chasseurs/cueilleurs qui a entraîné la disparition de nombreux herbivores ?
• A – 11.000 ans ? qui marque les débuts de l’agriculture ?
• A -6000 ans ? qui correspond à une augmentation massive de méthane dans l’atmosphère, du développement de la culture du riz, de la domestication animale et du défrichement des forêts ?
• En 1492 ? Où la collision entre l’ancien et le nouveau monde, sinistre rencontre après laquelle on a enregistré une diminution du CO2, l’holocauste de 56 mios d’autochtones (sur 60 mios d’habitants) ayant provoqué l’abandon de larges surfaces cultivées, et de facto favorisé une reforestation naturelle, période correspondant également au début du « grand mélange » des plantes et des animaux entre les deux continents ?
• En 1784 ? Date du brevet de la machine à vapeur, prémices de la révolution industrielle (comme en témoignent des cendres prises dans les glaces) qui a généré ce qu’on appelle désormais la « grande accélération » ?
• En 1945 ? Qui marque une date pivot des explosions atomiques et essais nucléaires des années 50 et 60 comme le montre la radioactivité piégée à ces dates dans les cernes des arbres ?
Un anthropocène pour le meilleur ?
On se plairait à imaginer que l’humanité oeuvre de concert désormais pour que l’Anthropocène puisse se décliner selon des âges différents et que, après tant de signaux synonymes de nos capacités destructrices, nous puissions entrer dans un âge qu’on dirait du « grand renversement » où notre empreinte écologique diminuerait drastiquement, où les températures cesseraient d’augmenter selon des scénarios terrifiants, selon un équilibre où notre production et notre consommation s’équilibreraient, où plus aucun pays ne consommerait à lui seul plusieurs fois les énergies de la planète, où les énergies seraient renouvelables, où le plastique cesserait de se profiler comme le composant essentiel des roches sédimentaires de notre temps, où les paléontologues du futur ne distingueraient plus aucune trace de radioactivité piégée dans les cernes des arbres, où les arbres de plus de 5 mètres ne seraient plus abattus pour ne pas empêcher les ondes de la 5G de transiter sans entraves (!!??), où le CO2 aurait diminué sans être le résultat d’aucun holocauste, où…